Chambre
522. Cinquième étage. Bâtiment A.
Deux hommes jouent aux dames. Damier d’une caisse de bois sur laquelle
l’un d’entre eux a peint les cases, noires et blanches. Pour les
pions ce sont des rondelles coupées dans un manche de pioche. Les rouges.
Les blancs. On n’entend que les claquements des pions sur le bois qui
marquent les prises. Et les voix qui ponctuent. Il y a juste assez de place
pour le damier et les deux joueurs. C’est une chambre aux normes anciennes
de ces foyers. Sept mètres carré en tout et pour tout. Et là-dedans,
des piles de livres, de cassettes, le lit, la télé, une radio,
le frigo. Les murs sont couverts des photos de la plupart des équipes
de football d’Afrique. Et quand ce ne sont pas des sportifs, ce sont
des hommes politiques, chefs d’état de presque tous ces pays.
Une affiche, aussi. Appelant au recensement des maliens vivant en France.
C’est le pays de Lassana Coulibally, le locataire de cette chambre.
Djamel N’dongo, son partenaire de jeu de dames, ne dit pas autre chose
: Tout ce qu’on vit ici, c’est pour là-bas. Et tout ce
qui se fait là-bas, c’est grâce à nous. Je suis
là, je suis là-bas. Dans tout ce qui se fait, on est présent.
Sinon je serais reparti depuis longtemps...
Chambre 606. Bâtiment A. Sixième étage.
D’une mallette qu’il tire de sous son lit, Djamel N’dongo
sort une photographie. Ni femme, ni enfants. Mais la maison qu’il leur
fait construire à Gouduri, dans la région de Tamacounda, près
de la frontière malienne. Sur la photo, elle n’est pas terminée,
et on voit surtout la fierté des ouvriers qui posent pour le photographe.
Pour Djamel, c’est la preuve du bien fondé de tout ce qu’il
fait. Dans quelle misère ils vivraient s’ils n’était
pas venu ? Ce qu’il gagne ici leur permet de vivre correctement là-bas.
Pour ça qu’il n’a jamais rechigner à faire des heures
supplémentaires. Lorsqu’il faut travailler samedi ou dimanche,
il est toujours volontaire. Il sait bien qu’il paie tout ça de
sa solitude...