HOUCINE KANOUN
Houcine fils de Mohamed fils de Abdellah
du douar Akrad M'Zaourou
dans la région de Mogador
s'engagea
le 16 janvier 1951
parce qu'il voulait gagner sa vie
apprendre à conduire
voir du pays
six mois à Meknes pour se former
et le départ
11 août 1956
4I ème RAC
Régiment d'Artillerie
le train jusqu'à Oran
et un bâtiment de guerre U.S
la mer
des jours et des jours de mer
le port d'Haiphong
3 septembre 1951
quinze jours au port
et puis la route
le camion
le canon de 105 qu'il faut traîner sur toutes les routes
quatre canons par compagnie
douze hommes par canon
et le chauffeur (lui)
et l'aide-chauffeur
sur les routes
l'ennemi on ne sait pas où
qui vient comme un voleur
Do Son
Hadong
Bac Ninh
Ning Ming
fleuve Zuo Jiang
frontière chinoise
toujours taper devant
devant
sur le"Chinois" qui vient à droite
à gauche
par quinze ou trente
par deux-cent par trois-cent
et les corps que l'on retrouve
découpés au coupe-coupe
bouche ouverte tranchée
des routes
des combats
des morts
beaucoup de camarades
pendant des mois et des mois
deux annnées entières
à finir par parler "chinois"
et le retour
2 septembre 1953
la mer
le port d'Oran
le train
le Maroc
garnison au Maroc
jusqu'à la fin du contrat
15 janvier 1955
le retour à la vie civile
reste
à Casablanca
cherche
du travail
chauffeur
mécanicien
démonter et remonter les moteurs
"travail du Maroc"
travail au jour le jour
jamais rien de sûr
un mariage
deux mariages
trois mariages
quand il n'y a pas d'argent
la femme s'en va
les enfants restent
mais dans la tête
ne pense plus qu'à ça
trouver l'argent
de quoi vivre
"tu fais rien et tu penses"
il voudrait bien faire taxi
mais les demandes sont sans réponse
manque l'argent
"quand tu as l'argent
tu es comme l'oiseau"
devenir oiseau ?
presque rien dans la poche
à l'âge où on est vieux
pas de quoi vivre
pas de quoi faire vivre
la femme
les enfants
Houcine fils de Mohamed fils de Abdellah
part
à soixante-treize ans
la valise
le sac
comme un travailleur émigré
sans travail
on a dit que c'était comme une pension
pour les anciens combattants de l'armée française
c'est pas une pension
le RMI
le foyer
le minimum vieillesse
mais c'est déjà une reconnaissance
et ce sera comme ça jusqu'à la fin de ses jours
aller
venir
rentrer
partir
et ceci est écrit
pour qu'ils sachent
Mohamed
Hafida
Naïma
Azziz
Khadija
fils et filles de
Houcine fils de Mohamed fils de Abdellah
du douar Akrad M'Zaourou
dans la région de Mogador
pour qu'ils sachent
la vie d'homme qu'a eu leur père
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"