ALI HALLABOU
Ali fils de Jilali fils de Mohamed
des Ouled Sadoun
dans la région d'El Kelaa des Sraghna
s'engagea à dix-huit ans
le 5 mars 1945
pour échapper à la corvée
travail gratuit
imposé par le caïd
au moins à l'armée
on te paie
partit seul de son village
poussé par la misère
le premier à monter
dans le camion
de l'officier recruteur
pensait que c'était bien
le mieux
Intendance militaire
à Marrakech
puis le 30ème Génie
à Port Lyautey
débarque en France
le 14 juillet 1947
Marseille
Avignon
Miramas
à transporter
démonter
débarasser
la débandade de matériel de guerre
laissée par les américains
Chateau-Renard
Fréjus
puis Metz
l'Alsace
2ème Régiment de Génie
construction de pont
et déminage
du moment que tu as
une pelle et une pioche
dans les mains
c'est ça le travail du Génie
pont de Kiel
Strasbourg
travail à la force des bras
puis retour au Maroc
en 1949
même pas de permission
direction Indochine
Cochinchine
Saïgon
ponts flottants pour traverser les fleuves
construction de postes
pas d'accrochages
pas de combats
travail d'arrière
jusqu'en 1951
retour au Maroc
permission cette fois
la première au pays
depuis 1947
trois mois
mais sans argent
en profite pour se marier
et ausitôt après
c'est encore l'Indochine
si tu rempiles, c'est l'Indochine
tu as pas le choix
mais fini le Génie
c'est le 2ème Régiment de Tirailleurs Marocains
finis les travaux à l'arrière
c'est tout de suite
en opérations
caporal chef
à la tête d'un groupe de cinq
voltigeurs
aux avant-postes
en éclaireurs
partout en Indochine
Ali ben Jilali ben Mohamed
énumère les noms
comme les grains d'un chapelet
Hai Duong
10 novembre 1953
à l'approche d'un village "chinois"
tirs de mortier
un mort
un la jambe arraché
un blessé à la main
lui aussi
ramené en hélicoptère
à l'arrière
rapatriement sanitaire
à bord du Pasteur
1954
invalide à 60%
en tout et pour tout
70 euros de pension
sept enfants à charge
la misère partagée
maison de terre et de paille
perdue dans la montagne
jusqu'au jour où il apprend
que tout ça
lui donne droit
de venir en France
d'y avoir une pension
part
un des premiers
arrive
le plus ancien à Beauvais
sur le quai de la gare
l'adresse écrite sur un papier
et toujours ce sourire
sur le visage
cette douceur
sous la calotte blanche
sauf à penser
à la famille restée là-bas
leur misère
misère ici
misère là-bas
la vie chère d'ici
et la pension
qui fond
à pleurer le peu
qui reste
à envoyer là-bas
à la femme
aux enfants
et pourtant c'est pour eux
qu'il fait tout ça
il veut qu'ils le sachent
qu'ils se souviennent
M'barka
Mohamed
Najib
Fatiha
Latifa
Mina
Kaltoum
Abdelouahab
fils et filles de
Ali fils de Jilali fils de Mohamed
qu'ils se souviennent
et racontent à leurs enfants
ce que fut la dure vie
d'homme
et de soldat
de leur père
puisque c'est pour eux
qu'il a fait tout ça.
Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"