ABDELRRAHMAN EL BADAOUI


Abdelrrahman fils d'Amar fils de Kahhal
du douar Ouled Hachad
dans la région d'El Kelaa des Sraghna
s'engagea
en 1945
pour quatre ans
à l'Intendance militaire de Marrakech
puis c'est la France
dans les ruines
Evreux
Dieppe
Rouen
Saint-Denis
à ranger tout ce désordre
d'après guerre
de retour au Maroc
il s'engage à nouveau
quatre ans encore
mais cette fois c'est
l'Indochine
Saïgon
1er Régiment de Tirailleur Marocain
il est radio
jours terribles
attaques
peur
beaucoup de morts
la nuit
beaucoup de disparus
à peine arrivés et déjà disparus
et cette section de Sénégalais
encerclés
pris au piège
on ne les reverra plus
pas un jour pour rattraper l'autre
Abdelrrahman ben Amar ben Kahhal
reste deux ans en Indochine
rappatrié
il en a marre
quitte l'armée
travaille sur une base U.S
près de Casa
puis revient
rentre au village
douar Ouled Hachab
travail de fellah
toutes ces années
cinq enfants
un fils dans l'armée royale
vit de pas grand chose
alors lorsqu'il apprend
qu'avec la carte du combattant
on peut venir en France
et recevoir une pension
Abdelrrahman ben Amar ben Kahhal
n'hésite pas
part
revient en France qu'il connait bien
Bordeaux
Beauvais
le foyer
et l'hôpital
puisqu'il est gravement malade
mais à peine opéré
s'en va
quitte sans prévenir l'hôpital
comme s'il avait peur
(mais de quoi ?)
revient au foyer
où malgré la fatigue
la douleur
il veut raconter ce que fut sa vie
ce qu'elle est
qu'ils le sachent
et n'oublient pas
Zoubida
Salah
Fanida
El Ayachi
Latifa
fils et filles de
Abdelrrahman ben Amar ben Kahhal
puisque c'est pour eux qu'il a fait tout ça
et tant pis si ce doit être
comme ça
jusqu'à la fin de ses jours
aller
venir
rentrer
partir
en espérant que la mort
ne vienne pas ici.

 

Olivier Pasquiers, photographe, membre de l'association "le bar Floréal. photographie"